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Non-axiomes.
Il ne suffit pas de connaître les techniques d’entraînement non-A. Elles doivent être assimilées jusqu’à devenir automatiques, c’est-à-dire non-conscientes. La période « discursive » doit faire place à la période « active ». Le but doit être une souplesse totale des démarches mentales, en deçà du plan verbal, à l’égard de n’importe quel événement. La Sémantique Générale a pour objet de donner à l’individu un sens de l’orientation et non pas un nouveau cadre indéformable.
En un instant, il comprit alors l’ensemble des faits. Indépendamment du « rêve », tant de choses concordaient ! Le mécanicien du destroyer se tuant plutôt que de courir le risque d’un interrogatoire. Quelle émotion personnelle aurait pu le pousser à un tel geste ? Fanatisme religieux, évidemment.
Et qui se trouvait mieux placé que Secoh pour découvrir les coordonnées d’une nouvelle planète comme Yalerta ? En tant que conseiller principal d’Enro, il avait les ressources d’un empire à sa disposition.
Des milliers de bribes d’information pouvaient être cataloguées, condensées, organisées, et, à volonté, transmises ou non à Enro. Les progrès techniques aussi bien que l’actualité lui étaient soumis pour qu’il les communique au dictateur. Ainsi, des instruments distorseurs radicalement nouveaux se trouvaient signalés à l’attention d’un homme pratiquement nul du point de vue scientifique, et qui n’attendait que cela pour étendre ses desseins personnels à l’échelle galactique.
Un homme qui se nommait lui-même le Disciple, nom plein de signification religieuse.
Le reste du tableau, les raisons de chaque acte, pouvaient résulter de la religion elle-même. Il paraissait naturel que le seigneur gardien du Dieu Endormi se fût trouvé stimulé par l’ambition d’un empereur planétaire comme Enro et l’ait poussé à conquérir le Plus Grand Empire et à unifier la galaxie pour lui étendre sa religion.
Tableau encore incomplet sur certains détails, mais il parut logique à Gosseyn de l’accepter comme point de départ sur lequel fonder son action future.
Secoh, le Disciple. Secoh, adepte sincère de la religion du Dieu Endormi. Secoh, un fanatique, habile et vif dans tous les domaines de la pensée, sauf le domaine religieux – encore que là même sa conviction dût lui permettre une adaptation aisée aux faits.
Mais c’était – s’il en existait une – la faiblesse de l’homme. Gosseyn-Ashargin s’assit lentement tandis que Secoh s’approchait du lit pour s’y installer en face de lui.
Le prêtre dit d’une voix pleine :
— Prince, une opportunité va se présenter pour vous de regagner pour votre famille une position digne de votre passé.
Gosseyn s’attendit à ce qui allait suivre. Il ne se trompait pas. Il écouta l’offre de vice-royauté, « le Dieu Endormi, expliqua prudemment Secoh, devant être la seule autorité au-dessus de la vôtre ».
C’est-à-dire Secoh lui-même. Et pourtant, sans aucun doute, il croyait ce qu’il disait.
Il ne chercha pas à prétendre que la prise de Gorgzid fût due aux forces de la Ligue. Le seigneur gardien fut franc.
— Il a semblé à Crang que ce serait une bonne base de discussion que de laisser croire à une victoire de la Ligue.
D’un geste, il écarta cet aspect du problème.
— Je puis vous dire, assura-t-il avec sincérité, qu’Enro avait cessé de donner satisfaction au Dieu Endormi, et j’ai à peine besoin de souligner que les messages reçus par vous du Temple furent pour moi une indication précieuse du point où je devais porter mes regards.
Il y croyait. Il croyait à sa religion étrange. Ses yeux luisaient de l’éclat de l’honnêteté. Gosseyn l’observa et ne se rendit que trop bien compte de la déraison de l’homme.
Il demanda :
— Enro est-il mort ?
Secoh n’hésita qu’un instant.
— Il a dû se douter de quelque chose, avoua-t-il. Je me suis rendu à son appartement la nuit dernière après son retour au palais, espérant le retenir en lui parlant jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour qu’il s’enfuie. Nous avons eu une conversation plutôt orageuse. Et puis, dès le début de l’attaque, il s’est similarisé à bord du vaisseau amiral de Paleol.
Secoh s’interrompit et ses yeux perdirent un peu de leur feu. Il dit, pensif :
— Enro est un homme très habile.
Il l’admettait à contrecœur. Mais le fait qu’il l’admît donnait la mesure de son habileté propre. Ne pas avoir pu capturer Enro, c’était une défaite majeure ; et cependant, déjà il s’y adaptait.
— Alors, dit Secoh, vous êtes pour ou contre moi ?
Façon brutale de présenter les choses, d’autant qu’il ne précisait pas les conséquences d’un refus possible. Gosseyn choisit de ne pas poser directement cette question. Il dit :
— Qu’auriez-vous fait d’Enro si vous l’aviez pris ?
Le seigneur gardien sourit. Il se leva et s’en fut à la fenêtre. Il fit un signe à Gosseyn-Ashargin qui le rejoignit sans hésiter.
Debout à côté du prêtre, Gosseyn regarda dans la cour, qui se transformait. On élevait des gibets. Une douzaine se trouvaient déjà en place, et à neuf d’entre eux pendaient des formes inertes. Gosseyn regarda pensivement les morts, ni frappé ni impressionné. Partout où les hommes agissent de façon thalamique, on trouve un bon contingent de pendus.
Secoh reprit la parole.
— Enro à réussi à filer, mais j’ai pris un certain nombre de ses amis les plus acharnés. J’essaie encore d’en persuader quelques-uns.
Il soupira.
— Je suis facile à satisfaire, mais au bout du compte, je veux une certaine coopération. En conséquence, des images comme celle-ci (il désigna la cour) sont les concomitantes nécessaires à l’élimination des forces du mal.
Il hocha la tête.
— On ne peut pas avoir de pitié pour les individus rétifs.
Gosseyn tenait sa réponse. C’est ce qui arrivait à ceux qui se déclaraient « contre ».
Maintenant, il savait contre quoi il devait lutter. Mais il faudrait risquer gros – la vie d’Ashargin entre autres – sur la profondeur des sentiments religieux de Secoh.
Il n’eut aucun mal à proférer les imbécillités voulues. Il lui fallut quelques instants pour deviner pourquoi : le système nerveux d’Ashargin avait dû établir des circuits réflexes correspondant à des formules abstraites et fausses concernant le Dieu Endormi – chose à ne pas perdre de vue dans ses plans ultérieurs à l’égard du prince, visiblement peu avancé encore en sémantique générale.
Mais il dit ce qu’il fallait dire, et souligna qu’il avait reçu un message du Dieu Endormi précisant qu’un grand honneur se préparait pour Secoh. Il devait se rendre au Temple, en compagnie d’Ashargin, muni d’un distorseur – Gosseyn observa attentivement la réaction du seigneur gardien à la mention du distorseur, ce qui constituait une modification des rites traditionnels établis. Mais, en apparence, Secoh acceptait tout ordre direct de son Dieu sans tenir compte des formes du passé.
La première étape, la plus simple, était franchie.